Survol des méthodologies apologétiques: Alvin Plantinga

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2ème article de la série sur les différentes méthodes d’apologétiques chrétiennes.

Epistémologie réformée d’Alvin Plantinga

Remise en cause du fondationnalisme épistémologique et de l’évidentialisme

L’Epistémologie réformée n’est pas en soi une méthode apologétique dont l’objectif est de prouver quoi que ce soit – l’argument a simplement pour but d’apporter une réponse à ce que Plantinga nomme l’objection de jure contre la croyance en Dieu, c’est à dire l’objection selon laquelle la croyance n’est pas rationnellement justifiée, en raison de notre statut épistémique et du manque de preuves (quelle que soit la réalité de son existence objective).

Plantinga défend l’idée que la croyance en Dieu peut être rationnellement justifiée même si celle-ci n’est pas soutenue par des preuves. La croyance en Dieu peut en effet être considérée comme une croyance de base, une croyance fondamentale qui n’est pas déduite d’autres vérités (au même titre que la croyance en l’existence du passé, du monde extérieur, des autres esprits, etc.). Puisque la croyance en Dieu est tout à fait analogue à la croyance en l’existence d’autres esprits (sur le plan de la justification épistémique), il est alors légitime de considérer la croyance en Dieu comme rationnellement justifiée.

Plantinga fait ensuite usage du concept de Sensus Divinitatis (Calvin/Thomas D’Aquin) en tant que mécanisme pouvant expliquer comment certains individus trouvent en eux-mêmes cette croyance de base mais pas d’autres. Il montre par là qu’un hypothétique mécanisme logiquement plausible et cohérent peut attester de cette inégalité épistémique.

Problèmes :

1/ L’existence du passé, du monde extérieur et des autres esprits est certes acceptée sans véritables preuves objectives, mais ces croyances sont des vérités immédiates, s’imposant d’elles-mêmes à l’intellect, de façon absolument universelle. Dans la vie quotidienne, on considérerait comme fou à lier un homme qui renierait l’existence du passé ou des autres esprits (quelque soit le contexte, la culture ou l’époque). Même s’il est lui même subjectif et non-justifié, ce critère supplémentaire d’universalité accorde selon moi une légitimité épistémique supérieure. Or la croyance en Dieu n’est pas universelle.

Par ailleurs, cette croyance n’est pas « évidente » et « immédiate » dans le même sens qu’avec l’existence du passé. Même ceux qui croient en Dieu ont déjà douté de son existence à un moment ou un autre, contrairement à ces autres croyances de base (passé, monde extérieur, etc.). On observe une nette différence de nature entre ces différents domaines de croyance même dans notre propre expérience subjective. Enfin, la négation de l’existence de Dieu n’implique pas nécessairement une expérience irrationnelle de la réalité, contrairement à ces autres croyances de base.

Il me parait donc très difficile de lui accorder la même « potentialité » de justification épistémique.

2/ L’argument se borne à répondre à l’objection de jure et tente simplement de démontrer que la croyance en Dieu peut être rationnellement justifiée sans preuve, en ne disant rien sur l’existence objective de Dieu. Sans être tout à fait nulle, l’utilité de l’argument est donc assez triviale quand on sait que l’objection de jure est très rarement formulée seule, mais la plupart du temps en conjonction avec une palette d’objections de facto (c’est à dire des objections concrètes sur la fausseté objective du christianisme). Et puisque le modèle nécessite la postulation du mécanisme spécifiquement chrétien de Sensus Divinitatis (sens du divin), on affirme en fait en substance que « la croyance en Dieu est rationnellement justifiée si le christianisme est vrai ».

3/ Malgré les tentatives de réfutation proposées par Plantinga, il semble bien que cette entreprise de dévaluation des critères épistémologiques permette de déclarer à peu près n’importe quelle superstition ou bizarrerie comme potentiellement rationnelle et justifiée. Plantinga répond à cette objection en rappelant que ces « croyances de base » ne sont pas arbitraires : même si elles ne disposent pas de « preuves », elles ne sont pas pour autant sans fondement – ces croyances sont en effet déclenchées par des expériences particulières. Dans le cas de l’existence de Dieu, la croyance est basée sur des expériences religieuses, sur une forte intuition subjective, sur le témoignage des autres, etc.

Des concepts comme la théière de Russel, la licorne rose invisible ou le monstre en spaghettis volant ne sont donc pas des analogies légitimes à la croyance en Dieu puisque ceux-ci ne reposent sur aucun fondement réel et relèvent de la simple imagination. On ne peut décemment pas les placer sur le même plan. Il ne s’agit donc pas de pouvoir tenir comme justifiée n’importe quelle croyance bizarre et absurde.

Soit.

Mais le critère postulé est tellement fluide et vague, tellement dépendant de la subjectivité qu’il en devient, selon moi, inutile. On pourra toujours faire appel à des prétextes, à des impressions, à des pseudos-fondements pour avancer n’importe quelle croyance fantaisiste sans qu’elle ne puisse être déclarée comme objectivement invalide. Qu’est-ce qui empêcherait de construire des argumentations artificielles empêchant la falsification de la croyance ? On pourrait également imaginer d’autres mécanismes similaire à celui du sensus divinitatis pour justifier à peu près n’importe quelle croyance – il suffirait simplement d’un peu de créativité. Je sais bien que le modèle de Plantinga ne traite pas de la validité objective d’une croyance et uniquement de sa justification rationnelle, mais en quoi ce modèle est-il utile s’il permet de considérer n’importe quelle croyance farfelue comme subjectivement justifiée sans qu’on ne puisse réellement la remettre en question par un critère objectif ?

Conclusion :

Malgré ces quelques critiques, je pense que cette mise en perspective des considérations épistémologiques est très pertinente. D’autre part, les analyses effectuées par Plantinga tout au long de ses ouvrages sont souvent excellentes. Warranted Christian Belief reste une oeuvre importante et Plantinga est pour moi un apologète majeur du 20/21ème siècle.

Références :

Alvin Plantinga, Warranted Christian Belief, Faith and rationnality, God and other minds

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