Augustin, la science et les chrétiens

Augustin

On agite assez souvent la question de savoir quelle est la configuration du ciel d’après nos Saints Livres. C’est un sujet sur lequel les savants ont accumulé des volumes et que les écrivains sacrés ont sagement négligé; tous les systèmes sont inutiles au bonheur, et ce qui est pis, dérobent un temps précieux qui devrait être consacré au salut. Que m’importe que le ciel soit une sphère qui enveloppe de toutes parts la terre immobile au centre du monde, ou un disque immense qui ne la recouvre que d’un côté? Toutefois, comme l’autorité de l’Ecriture est en jeu, et qu’il est à craindre que les esprits étrangers à la parole divine, rencontrant dans nos saints livres ou entendant dire aux chrétiens des choses qui semblent contredire les vérités scientifiques, n’en profitent pour repousser l’histoire, les dogmes, la morale de la religion; il faut répondre en peu de mots que les écrivains sacrés savaient fort bien la véritable configuration du ciel, mais que l’Esprit-Saint, qui parlait par leur bouche, n’a pas voulu découvrir aux hommes des connaissances inutiles à leur salut.

Augustin – De la genèse au sens littéral – Livre 2, Chapitre 9, Sections 20-21


Quiconque établira l’autorité de l’Esprit Saint contre la raison claire et manifeste, celui-là ne sait pas ce qu’il a entrepris ; car il oppose à la vérité non la signification de la Bible, qui dépasse sa compréhension, mais sa propre interprétation, non de ce qui est dans la Bible, mais de ce qu’il a trouvé en lui-même et qu’il imagine y trouver. Cela admis, et puisqu’il il est vrai que deux vérités ne peuvent pas se contredire, c’est la fonction des exégètes de chercher les véritables sens des textes de l’Ecriture. Ceux-ci seront évidemment en accord avec les conclusions physiques que le sens manifeste et les démonstrations nécessaires ont rendu certaines pour nous.

Augustin – 7ème lettre à Marcellin


Lorsque j’entends tel ou tel chrétien, mon frère, montrer dans ses propos l’ignorance de ces problèmes [scientifiques] et confondre une chose avec l’autre, je considère ses opinions avec patience. Dès lors qu’il ne se fait point d’idée indigne de vous, Seigneur, Créateur de toutes choses, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’il ignore peut-être la place et la nature des choses matérielles de la création. Le mal est qu’il croie la doctrine de la piété engagée dans ces problèmes et qu’il s’entête à affirmer ce qu’il ignore.

Augustin – Confessions – Section 5.5 – Flammarion – p. 91


Le ciel, la terre et les autres éléments, les révolutions, la grandeur et les distancés des astres (…), les propriétés des animaux, des plantes et des minéraux, sont l’objet de connaissances précises, qu’on peut acquérir, sans être chrétien, par le raisonnement ou l’expérience. Or, rien ne serait plus honteux, plus déplorable et plus dangereux que la situation d’un chrétien, qui traitant de ces matières, devant les infidèles, comme s’il leur exposait les vérités chrétiennes, débiterait tant d’absurdités, qu’en le voyant avancer des erreurs grosses comme des montagnes, ils pourraient à peine s’empêcher de rire. Qu’un homme provoque le rire par ses bévues, c’est un petit inconvénient; le mal est de faire croire aux infidèles que les écrivains sacrés en sont les auteurs, et de leur prêter, au préjudice des âmes dont le salut nous préoccupe, un air d’ignorance grossière et ridicule.Comment en effet, après avoir vu un chrétien se tromper sur des vérités qui leur sont familières, et attribuer à nos saints livres ses fausses opinions, comment, dis-je, pourraient-ils embrasser, sur l’autorité de ces mêmes livres, les dogmes de la résurrection des corps, de la vie éternelle, du royaume des cieux, quand ils s’imaginent y découvrir des erreurs sur des vérités démontrées par le raisonnement et l’ expérience ? On ne saurait dire l’embarras et le chagrin où ces téméraires ergoteurs jettent les chrétiens éclairés. Sont-ils accusés et presque convaincus de soutenir une opinion fausse, absurde, par des adversaires qui ne reconnaissent pas l’autorité de l’Écriture ? On les voit chercher à s’appuyer sur l’Écriture même, pour défendre leur assertion aussi présomptueuse que fausse, citer les passages les plus propres, selon eux, à prouver en leur faveur, et se perdre en de vains discours, sans savoir ni ce qu’ils avancent ni les arguments dont ils se servent pour l’établir.

Augustin – De la genèse au sens littéral – Livre 1, Chapitre 19, Section 39


[À propos d’une hypothèse particulière sur la signification matérielle de la parole « Que la lumière soit »] elle n’est point contraire à la foi, aussi longtemps qu’elle n’est pas renversée par une vérité incontestable. Est-elle reconnue fausse ? L’Écriture ne la contenait pas; ce n’était que le fruit de l’ignorance humaine. Est-elle au contraire démontrée par une preuve infaillible ? Même dans ce cas, on pourra se demander si l’Écrivain sacré a voulu dans ce passage révéler cette vérité ou exprimer une autre idée non moins certaine. Quand même on verrait par l’ensemble de ses paroles, qu’il n’a pas songé à cette idée, loin de conclure que tout autre idée qu’il a voulu exprimer soit fausse, il faudrait reconnaître qu’elle est vraie et plus avantageuse à connaître. Et quand l’ensemble n’empêcherait pas de croire qu’il ait eu cette intention, il resterait encore à examiner s’il n’a pu en avoir une autre. Cette possibilité reconnue, on ne pourrait décider quelle a été sa véritable pensée; on serait même fondé à croire qu’il a voulu exprimer une double pensée, si l’ensemble prêtait à une doublé interprétation.

Augustin – De la genèse au sens littéral – Livre 1, Chapitre 19, Section 38


[À propos d’une conclusion particulière relative aux corps célestes] Au point où nous sommes arrivés, cette question me semble insoluble : toutefois, j’espère que dans la suite des explications que je donne sur l’Écriture, il se présentera quelque passage où je pourrai la traiter plus à propos, et, sans compromettre l’autorité des livres saints, arriver, non à une vérité invinciblement démontrée, mais à une hypothèse plausible. Gardons ici le juste tempérament que commande une piété sérieuse, et évitons d’admettre au hasard une opinion mal éclaircie, de peur qu’au moment où la vérité peut-être se montrera dans tout son jour, sans contredire toutefois les paroles de l’ancien ou du nouveau Testament, nous ne trouvions, dans l’attachement à notre erreur, un motif de la repousser.

Augustin – De la genèse au sens littéral – Livre 2, Chapitre 18, Section 39


Si l’Écriture nous offre des vérités obscures, hors de notre portée, et qui, sans ébranler la fermeté de notre foi, prêtent à plusieurs interprétations, gardons-nous d’adopter une opinion et de nous y engager assez aveuglément pour succomber, quand un examen approfondi nous en démontre la fausseté ; loin de soutenir la pensée de l’Écriture, nous ne ferions plus que soutenir une opinion personnelle, donnant notre sens particulier pour celui de l’Écriture, tandis que la pensée de l’Écriture doit devenir la nôtre.

Augustin – De la genèse au sens littéral – Livre 1, Chapitre 18, Section 37

Poster un commentaire