Augustin sur le sabbat, la loi mosaïque et la loi naturelle

Voici quelques longues citations d’Augustin au sujet du Sabbat, de la loi et des préceptes moraux universels.

« Nous pouvons apprécier l’excellence des oeuvres de Dieu : quant aux joies de son repos, nous en jugerons après avoir accompli nos bonnes oeuvres. Le sabbat qu’il prescrivit aux Juifs d’observer était le symbole de ce repos : mais tel était leur esprit charnel, qu’en voyant le Seigneur travailler ce jour-là à notre salut, ils lui en faisaient un crime, et dénaturaient la réponse où il leur parle de l’activité de son Père, avec lequel il gouvernait l’univers et opérait notre salut. Mais du moment que la grâce a été révélée; cette observation du sabbat, représenté par un jour de repos, n’a plus été une loi pour les fidèles. Sous le règne de la grâce, le sabbat est perpétuel pour celui qui opère toutes ses bonnes oeuvres en vue du repos à venir, et qui ne se glorifie pas de ses actions, comme s’il avait le don d’une vertu qu’il n’a peut-être pas reçu. Ne voyant dans le sabbat c’est-à-dire, le repos du Seigneur dans son tombeau, que le sacrement du Baptême, il se repose de sa vie passée : marchant dans les voies d’une vie toute nouvelle, il reconnaît l’action qu’exerce en lui Dieu, qui tout ensemble agit et se repose, gouvernant la créature au sein d’une éternelle tranquillité. »
De la genèse au sens littéral, livre 4

« Cette loi, écrite par le doigt de Dieu sur des tables de pierre, fut donnée à Moïse au sein des foudres du Sinaï, avec ordre de la promulguer à son peuple. Elle est renfermée dans dix préceptes qui ne parlent nullement de la circoncision ni des victimes animales dont le sang n’a jamais été versé par les chrétiens. De ces dix préceptes si vous exceptez l’observation du sabbat, dites-moi ce qu’il faut en retrancher à l’égard des chrétiens? (…) Dira-t-on que c’est à cause du seul précepte relatif au sabbat, que le, Décalogue a été appelé une lettre qui tue, parce que celui, qui l’observe aujourd’hui selon la lettre, fait preuve d’une sagesse purement charnelle.« 
De l’esprit et de la lettre, chapitre 14

« Ce voile mystérieux couvrait en particulier, dans le Décalogue du Sinaï, le précepte figuratif qui concernait le Sabbat.« 
De l’esprit et de la lettre, chapitre 15

« Ainsi donc le premier Testament n’est devenu l’Ancien que parce que nous en avons un Nouveau. Mais pourquoi l’un Ancien et l’autre Nouveau, quand la loi qui est accomplie dans le Nouveau Testament est bien celle qui disait dans l’Ancien: «Vous ne convoiterez pas ? » « Car vos pères », dit le Seigneur, « n’ont pas persévéré dans mon Testament, et moi je leur ai fait sentir mon pouvoir ». Si donc le premier Testament est appelé Ancien, c’est surtout à cause de la souillure de l’homme ancien. »
De l’esprit et de la lettre, chapitre 20

« Que sont donc ces lois de Dieu, écrites par Dieu lui-même dans les coeurs, si ce n’est la présence même du Saint-Esprit qui est le doigt de Dieu ? Par le fait même de sa présence en nous, il répand la charité dans nos coeurs, et cette charité n’est autre chose que la plénitude de la loi et la fin du précepte. Dans le Testament Ancien, faisons d’abord la part des sacrements qui n’étaient que l’ombre des sacrements futurs, comme la circoncision, le sabbat, d’autres observances spéciales à tel jour, les cérémonies qui entouraient la manducation de certaines nourritures, les rites multipliés des sacrifices et des oblations, toutes choses appropriées à la vétusté et au joug servile de la loi charnelle. Il contient aussi les préceptes de la justice, les mêmes que nous sommes encore tenus d’observer aujourd’hui et qui sont contenus sans aucune figure dans les deux tables du Sinaï ; tels sont par exemple : « Vous ne commettrez ni l’adultère ni l’homicide, vous ne convoiterez pas, et s’il est quelque autre commandement, vous le trouverez résumé dans  celui-ci : Vous aimerez votre prochain comme vous-même  ». Enfin ce même Testament abonde en promesses terrestres et temporelles, annonçant les biens de cette chair corruptible et sous la forme desquels nous trouvons la figure des biens éternels et célestes, les seuls dont s’occupe directement le Nouveau Testament. Maintenant, en effet, ce qui nous est promis c’est le bien du coeur, le bien de l’esprit, le bien de l’âme, c’est-à-dire le bien spirituel; et tel est le sens de ces paroles : « Je graverai mes lois dans deux esprit, et je les imprimerai dans leur coeur ». C’était prédire assez clairement qu’ils n’auraient plus à craindre une loi terrifiant extérieurement par des menaces, mais qu’ils aimeraient la justice même de la loi habitant dans leur coeur. »
De l’esprit et de la lettre, chapitre 21

« Nos adversaires mêmes avouent que la loi de Jésus-Christ, que nous appelons l’Evangile, et que nous reconnaissons pour le sceptre de son empire, est sortie de Sion. »
La cité de Dieu, livre 17, chapitre 17

Fauste. « Admettez-vous l’Ancien Testament ? Mais à quel titre, moi qui n’en observe pas les préceptes ? Je pense que ni vous non plus : car je rejette la circoncision comme une honte, et si je ne me trompe, vous aussi; le repos du sabbat comme superflu, et vous aussi, je crois (…) »
Augustin. « Nous avons déjà exposé plus haut dans quel sens et pour quel motif les héritiers du Nouveau Testament admettent l’Ancien. Maintenant que Fauste, après avoir agité la question des promesses, amène celle des préceptes, je réponds que lui et les siens ignorent complètement la différence qui existe entre les préceptes de vie pratique et les préceptes de vie figurative. Par exemple : « Vous ne convoiterez point », voilà un précepte essentiellement pratique; « Tout enfant mâle sera circoncis le huitième jour », c’est là un précepte symbolique. Par suite de cette ignorance, les Manichéens et tous ceux qui rejettent l’Ancien Testament n’ont pas compris que toutes les prescriptions cérémonielles imposées par Dieu à son peuple, étaient la figure des choses à venir, et parce qu’elles ont cessé d’être observées, ils les critiquent d’après ce qui s’observe de nos jours, sans penser qu’elles étaient convenables pour ces temps primitifs, alors qu’elles étaient autant de figures prophétiques des mystères qui sont maintenant dévoilés. Mais qu’ont-ils à opposer à ce témoignage de l’Apôtre : « Toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures; elles ont été écrites pour nous qui vivons à la fin des temps ? » Par ces paroles, l’Apôtre révèle d’un côté le motif qui nous fait admettre ces Ecritures, et de l’autre, la raison qui a fait cesser pour nous l’obligation d’observer ces rites symboliques. En disant que « ces choses ont été écrites pour nous », il enseigne clairement avec quelle sollicitude nous devons nous attacher à les lire et à les comprendre, et quelle autorité nous devons leur reconnaître, puisqu’elles ont été écrites pour nous. Et quand il ajoute que « ces choses étaient pour nous autant de figures », « qu’elles étaient en eux autant de figures », c’est déclarer qu’une fois en possession de la réalité dévoilée, il n’est plus nécessaire que nous soyons astreints à l’observation des figures prophétiques. C’est ce qui lui fait dire dans un autre endroit : « Que personne donc ne vous condamne pour le boire et pour le manger, ou au sujet des jours de fêtes, des nouvelles lunes et des jours de sabbat, puisque toutes ces choses n’ont été que l’ombre de celles qui, devaient arriver ». Par ces paroles : « Que personne ne vous condamne au sujet de ces pratiques », l’Apôtre nous apprend qu’elles ont cessé d’être désormais obligatoires; et par ces autres : « Elles étaient l’ombre des choses à venir », il montre que c’était un devoir indispensable de les observer à cette époque, où les mystères qui nous ont été depuis révélés, étaient annoncés sous le voile de ces diverses figures. (…) Quant au repos du sabbat, depuis que nous a été donnée l’espérance de notre éternel repos, nous en regardons l’observation comme désormais inutile, mais non la connaissance et l’intelligence. Dans les temps prophétiques, les mystères qui nous sont maintenant dévoilés, devaient être figurés et annoncés non-seulement par la parole, mais aussi par des actions: ce signe du sabbat que nous trouvons dans l’Ecriture, était la figure de la réalité dont nous sommes en possession. »
Augustin contre Fauste le Manichéen, livre 5, chapitre 2

« Quant au juif qui viendrait me dire : De quel droit vous appropriez-vous l’Ancien Testament, dont vous n’observez pas les préceptes ? Je lui répondrais que les chrétiens eux-mêmes observent les préceptes de vie pratique qui y sont renfermés, mais que l’observation des préceptes symboliques n’avait sa raison d’être qu’à l’époque où ils figuraient les mystères qui sont maintenant dévoilés. S’ils ne font pas partie de mon culte religieux, je les admets cependant comme autant de témoignages, ainsi que les promesses charnelles qui ont fait donner le titre d’Ancien à ce Testament où elles sont renfermées. Même après la révélation des biens éternels proposés à mon espérance, j’en lis la preuve dans ces promesses qui « leur étaient données comme autant de figures ; elles ont été écrites pour nous qui vivons à la fin des temps ». »
Augustin contre Fauste le Manichéen, livre 10, chapitre 2

On peut donc dégager deux choses chez Augustin :

  • Une affirmation explicite de l’abolition du Sabbat, perçu comme un symbole et un signe temporaire
  • Une certaine identification de la loi naturelle avec le décalogue

Augustin distingue évidemment différentes catégories d’ordonnances dans la loi afin de montrer au manichéen Fauste que les chrétiens continuent de suivre les préceptes moraux déjà contenus dans la loi mosaïque. Nul doute que les partisans de la théologie de l’alliance peuvent considérer ses déclarations comme supportant leur système, mais notons que a) sa position sur le Sabbat, pourtant inclut dans ce décalogue, contredit totalement la conception de la théologie de l’alliance sur le sujet et b) jamais il ne suggère une quelconque division structurelle dans la loi mosaïque ou ne rejette implicitement son unité indivisible.

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