Irénée sur le Sabbat, la loi naturelle, le décalogue et le sermon sur la montagne

Voici quelques longues citations d’Irénée sur les sujets en question :

 
Le Sabbat
 
C’est pourquoi nous n’avons plus besoin de la Loi comme d’un maître (…) Celui qui observe le sabbat continuellement, c’est-à-dire qui rend un culte à Dieu dans ce temple de Dieu qui est le corps de l’homme, ne recevra plus l’ordre de se reposer une fois par semaine, celui-là pratique toujours la justice.
Exposé de la prédication des apôtres, Partie 2, chapitre 4
 
Que Dieu n’ait pas donné non plus la circoncision comme conférant la perfection de la justice, mais comme un signe grâce auquel la race d’Abraham demeurerait aisément reconnaissable, nous l’apprenons par l’Ecriture elle-même : « Dieu dit à Abraham : Tout mâle parmi vous sera circoncis, et vous circoncirez la chair de votre prépuce, et ce sera en signe d’alliance entre moi et vous. » Le prophète Ezéchiel dit la même chose à propos des sabbats : «Je leur ai donné aussi mes sabbats pour servir de signe entre moi et eux, pour qu’ils sachent que je suis le Seigneur qui les sanctifie. » Et, dans l’Exode, Dieu dit à Moïse : « Vous observerez aussi mes sabbats, car ce sera un signe entre moi et vous pour vos générations. » Ces choses furent donc données comme des signes. Et ces signes n’étaient ni vides de signification ni superflus, donnés qu’ils étaient par un sage Artisan. La circoncision selon la chair préfigurait la circoncision spirituelle : « Pour nous, dit l’Apôtre, nous avons été circoncis d’une circoncision non faite de main d’homme. » Et le prophète dit : « Circoncisez la dureté de votre cœur. » Quant aux sabbats, ils enseignaient la persévérance dans le service de Dieu tout au long du jour : « Nous avons été considérés, dit l’apôtre Paul, tout au long du jour, comme des brebis de sacrifice», c’est-à-dire comme consacrés, comme servant durant tout le temps de notre foi et comme persévérant en elle, nous abstenant de toute avarice, ne possédant point de trésors sur la terre. Ils manifestaient aussi le repos de Dieu consécutif en quelque sorte à la création, c’est-à-dire le royaume en lequel l’homme qui persévère dans le service de Dieu se reposera et prendra part à la table de Dieu. La preuve que l’homme n’était pas justifié par ces pratiques, mais qu’elles avaient été données au peuple comme des signes, c’est qu’Abraham lui-même, sans circoncision ni observation de sabbats, « crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice, et il fut appelé ami de Dieu ».
Exposé de la prédication des apôtres, Partie 2, chapitre 4

Tout comme Justin et les autres Pères, Irénée voit le sabbat comme un symbole typologique temporaire et abrogé, pas un commandement ‘créationnel’. D’ailleurs, il affirme explicitement que les saints antérieurs à la loi mosaïque, comme Abraham, n’observaient pas le Sabbat.

On remarque aussi qu’il place le sabbat au rang de signe au même titre que la circoncision.

 
Identification du décalogue à la loi naturelle
 
Dieu, en effet, se contenta d’abord de leur rappeler les préceptes naturels, ceux-là mêmes que, dès le commencement, il avait donnés aux hommes en les implantant en eux : ce fut le décalogue, sans la pratique duquel on ne peut être sauvé ; et il ne leur demanda rien de plus. Comme le dit Moïse dans le Deutéronome : « Telles sont les paroles que le Seigneur adressa à toute l’assemblée des fils d’Israël sur la montagne, et il n’y ajouta rien ; et il les écrivit sur deux tables de pierre et il me les donna. » Et c’est pourquoi, à ceux qui voulaient le suivre, le Seigneur conseillait de garder les commandements. Mais quand ensuite ils se tournèrent vers la fabrication d’un veau et qu’ils revinrent de cœur en Egypte, désirant être esclaves plutôt que libres, alors, conformément à leur convoitise, ils reçurent tout le surcroît des prescriptions cultuelles, qui, sans les séparer de Dieu, les dompteraient sous un joug de servitude.
Exposé de la prédication des apôtres, Partie 2, chapitre 4
 
Et toute la multitude des autres justes antérieurs à Abraham et des patriarches antérieurs à Moïse fut justifiée sans les pratiques susdites et sans la Loi de Moïse, comme Moïse lui-même le dit au peuple dans le Deutéronome : « Le Seigneur ton Dieu a conclu une alliance sur l’Horeb ; et ce n’est pas avec vos pères que le Seigneur a conclu cette alliance, mais avec vous-mêmes. » Pourquoi donc n’est-ce pas avec leurs pères qu’il conclut l’alliance ? « Parce que la Loi n’a pas été établie pour le juste. » Or, justes, ils l’étaient, leurs pères, eux qui avaient le contenu du décalogue inscrit dans leurs cœurs et dans leurs âmes, puisqu’ils aimaient le Dieu qui les avait créés et qu’ils s’abstenaient de toute injustice à l’égard de leur prochain : ils n’avaient pas besoin d’une Écriture qui les avertît, car ils possédaient en eux-mêmes la justice de la Loi. Mais lorsque cette justice et cet amour envers Dieu furent tombés dans l’oubli et se furent éteints en Egypte, il fallut bien que Dieu, à cause de son grand amour des hommes, se manifestât de vive voix.
Exposé de la prédication des apôtres, Partie 2, chapitre 4

Irénée est sans conteste celui qui effectue l’identification la plus directe entre loi naturelle et décalogue. Cependant, et nous le verrons dans la prochaine section, il considère également que les commandements évangéliques constituent une amplification et un accroissement, et non une simple republication de cette loi. D’autre part, jamais Irénée ne sous-entend que la loi mosaïque ne soit pas une unité indivisible.

 

Les préceptes de l’Evangile sont un accroissement de la loi naturelle/décalogue
 
C’est précisément pour préparer l’homme à cette vie que le Seigneur a, par lui-même et pour tous pareillement, énoncé les paroles du décalogue : aussi demeurent-elles pareillement chez nous, après avoir reçu extension et accroissement, mais non abolition, du fait de sa venue charnelle. Quant aux préceptes de la servitude, il les a, par l’entremise de Moïse, intimés à part, au peuple, comme adaptés à leur éducation, ainsi que le dit Moïse lui-même : « Le Seigneur me commanda en ce temps-là de vous enseigner les prescriptions et les jugements. » C’est pourquoi les préceptes qu’il leur avait donnés pour la servitude et comme des signes, il les a abolis par la nouvelle alliance de liberté ; mais les préceptes naturels, qui conviennent à des hommes libres et qui sont communs à tous, ils les a accrus, accordant aux hommes, avec libéralité, de connaître Dieu comme Père par la filiation adoptive et de l’aimer de tout leur cœur et de suivre son Verbe sans s’en détourner, en s’abstenant non seulement des actes mauvais, mais même de leur désir.
Exposé de la prédication des apôtres, Partie 2, chapitre 4
 
Les préceptes naturels de la Loi — c’est-à-dire ceux par lesquels l’homme est justifié et qu’observaient, même avant le don de la Loi, ceux qui par leur foi étaient justifiés et plaisaient à Dieu —, ces préceptes là, le Seigneur ne les a pas abolis, mais étendus et accomplis. C’est ce que prouvent ces paroles : « Il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas d’adultère. Mais moi, je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. » Et encore : « Il a été dit : Tu ne tueras pas. Mais moi, je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sans motif sera justiciable du jugement. » Et : « Il a été dit : Tu ne feras pas de faux serments. Mais moi, je vous dis de ne faire aucune sorte de serments. Que votre oui soit oui, et votre non, non ! » Et ainsi de suite. Tous ces préceptes n’impliquent ni la contradiction ni l’abolition des précédents, comme le vocifèrent les disciples de Marcion, mais leur accomplissement et leur extension. Comme le Seigneur le dit lui-même : « Si votre justice ne dépasse celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » En quoi consistait-il, ce dépassement ? D’abord, à croire non plus seulement au Père, mais aussi à son Fils dorénavant manifesté, car c’est lui qui mène l’homme à la communion et à l’union avec Dieu. Ensuite, à ne pas dire seulement, mais à faire — car ils disaient et ne faisaient pas —, et à se garder non seulement des actes mauvais, mais même de leur désir. En enseignant cela, il ne contredisait pas la Loi, mais il accomplissait la Loi et enracinait en nous les prescriptions de la Loi. Contredire la Loi, c’eût été d’ordonner à ses disciples de faire quoi que ce fût que défendait la Loi. En revanche, leur prescrire l’abstention non seulement des actes défendus par la Loi, mais même de leur désir, ce n’était pas le fait de quelqu’un qui contredisait et abolissait la Loi, ainsi que nous l’avons déjà dit, mais de quelqu’un qui l’accomplissait et l’étendait.
(…)
C’est pourquoi le Seigneur nous a donné pour mot d’ordre, au lieu de ne pas commettre d’adultère, de ne pas même convoiter, au lieu de ne pas tuer, de ne pas même nous mettre en colère, au lieu de payer simplement la dîme, de distribuer tous nos biens aux pauvres ; d’aimer non seulement nos proches, mais aussi nos ennemis ; de ne pas seulement être « généreux et prompts à partager, mais encore de donner gracieusement nos biens à ceux qui nous les prennent: « A qui prend ta tunique, dit-il, abandonne aussi ton manteau; à qui prend ton bien, ne réclame pas; et ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux »: de la sorte, nous ne nous attristerons pas comme des gens qu’on aurait dépossédés contre leur gré, mais nous nous réjouirons au contraire comme des gens qui auraient donné de bon coeur, puisque nous ferons un don gratuit au prochain plus que nous ne céderons à la nécessité. « Et si quelqu’un, dit-il, te contraint à faire un mille, fais-en avec lui deux autres », afin de ne pas le suivre comme un esclave, mais de le précéder comme un homme libre, te rendant en toutes choses utile à ton prochain, ne considérant pas sa méchanceté, mais mettant le comble à ta bonté et te configurant au Père « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». Tout cela, nous l’avons dit plus haut, n’était pas le fait de quelqu’un qui abolissait la Loi, mais de quelqu’un qui l’accomplissait et l’étendait chez nous.
(…)
Ainsi donc, tous les préceptes naturels sont communs à nous et à eux, ayant eu chez eux leur commencement et leur origine et ayant reçu chez nous leur accroissement et leur extension : car obéir à Dieu, suivre son Verbe, l’aimer par-dessus tout et aimer son prochain comme soi-même — et c’est l’homme qui est le prochain de l’homme —, s’abstenir de tout acte mauvais, et ainsi de suite, tout cela est commun aux uns et aux autres. Par là, ces préceptes naturels manifestent un seul et même Seigneur.
Contre les hérésies, Livre 4

Le Seigneur, dans le sermon sur la montagne, étend et accroit les préceptes moraux contenus dans la loi mosaïque, il ne fait pas seulement que ‘rétablir leur intention d’origine’ ou ‘corriger les fausses interprétations des pharisiens’, comme le prétendent les théologiens de l’alliance. Il les amplifie et étend leur champ d’application aux pensées.

 

Poster un commentaire