Qu’est-ce que l’Évangile, en fin de compte ? (Chris Kugler)

Matt Moury nous propose la traduction d’un article du bibliste Chris Kugler (avec accord de l’auteur). Toujours sur la définition de l’Évangile.


Jésus est roi !

La justification par la foi !

Quoi d’autre ?

Quels sont les plus grands enjeux derrière le débat ?

Il en existe, tout compte fait, de nombreux.

Le débat ne porte, en effet, pas seulement sur la lexicographie, à savoir sur ce que signifie euangelion (« évangile ») dans le Nouveau Testament. Pas tout à fait, non. Dans ce registre, McKnight et Bates voient certainement plus juste d’un point de vue lexical : euangelion fait référence à l’annonce, inspiré par l’Esprit, que le Jésus qui a été crucifié pour avoir prétendu être le Messie a bel et bien été ressuscité d’entre les morts et intronisé comme le véritable Seigneur de l’univers. En d’autres termes, Jésus est roi.

Toutefois, bien évidemment, comme McKnight et Bates l’affirment au même titre que d’autres, Jésus devient roi – ou pour reprendre le langage habituel des évangiles, établit « le royaume de Dieu » – précisément en remportant, et au travers, d’une grande victoire contre les forces supra-humaines du mal (le fameux Christus Victor) par l’entremise de sa mort expiatoire pour nos péchés et de sa résurrection qui renverse la mort (la fameuse substitution pénale). C’est merveilleux. Nous sommes tous d’accord là-dessus (bien que la plupart des néo-réformés pourraient muscler avec profit leur Christus Victor).

Alors, d’où vient le problème ?

Le problème, à mes yeux, est double. D’un côté se pose la question herméneutique de comment passer du texte biblique à la doctrine (et donc à l’application pratique). De l’autre se pose la question de savoir quelle histoire nous racontons par la « bonne nouvelle ».

La question herméneutique

Première chose. Dans le Nouveau Testament, la force lexicale de euangelion est ce que McKnight et Bates affirment. Deuxième chose. Les évangiles et les lettres de Paul (et autres) interprètent cet événement comme la grande victoire contre les forces oppressantes du mal (Christus Victor) au travers de la mort expiatoire et de la résurrection glorieuse (et de l’ascension, de l’intronisation, de la descente de l’Esprit, etc.) du Christ. Toutefois, lorsque le mot euangelion lui-même est utilisé au sein du canon du NT, il n’est généralement pas accompagné d’une interprétation si dense. Et lorsque c’est l’interprétation dense qui est communiquée – comme, par exemple, en Galates 3.10-14 et Romains 3.21-26 ; 5.12-21 ; 8.1-4 – euangelion n’est jamais mentionné dans le contexte.

À partir de là, que devons-nous conclure ? Le fait que les péchés du monde ont été portés par Jésus le juste condamné à notre place ne constitue-t-il pas une « bonne nouvelle » ? Le fait que, en vertu de l’œuvre du Christ, Dieu « justifie » gracieusement les êtres humains de sa propre initiative (bien que cela implique et requiert une allégeance à l’Évangile) ne constitue-t-il pas une « bonne nouvelle » ? Bien sûr que si.

Mais si le NT n’utilise pas euangelion de cette manière, c’est qu’il y a une raison.

Le NT enseigne, après tout, un récit bien plus ample que la plupart des présentations évangéliques de « l’Évangile ».

Quel récit racontons-nous ?

Le problème est, encore et toujours, que trop de présentations évangéliques de l’Évangile réduisent le récit biblique à une transaction : la focale étant ici réduite au mécanisme précis du salut de l’homme. Mais est-ce l’idée générale ? Eh bien, pas exactement. Et puis de toute façon, en vue de quoi sommes-nous sauvés ? Tel est, je crois, le problème sous-jacent du débat.

Quel récit racontons-nous ? Où commence-t-il, et où se conclut-il ?

Si l’on commence en Genèse 3, et qu’on ne perçoit donc le problème qu’en termes de relation brisée entre Dieu et l’humanité, alors, oui, certainement, nous percevrons le salut, et qui plus est le mécanisme du salut – comme l’« Évangile », le cœur de l’ensemble.

Mais qu’advient-il si l’on ne commence pas en Genèse 3 (et qu’on ne l’interprète pas de cette façon) ? Et si, par conséquent, on ne subordonnait pas la création au salut, mais précisément l’inverse ? Et si l’on replaçait le salut – avec toutes ses mécaniques – au sein du récit plus ample qui dépeint la création et la régence divine de celle-ci par et au travers de l’homme ? Après tout, c’est que la Bible fait.

Lorsqu’on procède de la sorte, on perçoit, peut-être pour la première fois, comment et pourquoi la royauté de Jésus est un euangelion.

Dieu fait au travers de la croix et de la résurrection (et de l’intronisation) ce qu’il cherchait à faire dans le jardin : un vrai homme (et, cas unique, un vrai Dieu-homme) par lequel et au travers duquel il régente sa création aimée (mais maintenant déchue).

Voilà l’euangelion.

Lorsqu’Adam et Eve ont gâché leur vocation d’image de Dieu, elle a été dévolue à Israël. Quand Israël a brisé l’alliance, cette vocation a été dévolue à Jésus seul. Au travers de la mort, de la résurrection et de l’ascension/intronisation de Jésus, Dieu a enfin, et pour la première fois, établit un vrai homme au-dessus de toute sa création. Tel était son intention éternelle. Le projet de la création était de nouveau sur les rails.

Et nous sommes invités à y participer !

En d’autres termes, au travers de la vie, de la mort, de la résurrection et de l’intronisation de Jésus, Dieu a restauré son projet créationnel et ainsi inauguré sa nouvelle création.

Bien entendu, cette nouvelle création a bel et bien été inaugurée au moyen du Christus Victor par le truchement de la substitution pénale. Et, bien entendu, cette « nouvelle humanité », ce salut, est offert sur cette base seule, par la seule initiative de Dieu, etc.

Mais les mécaniques du salut ; aussi merveilleusement intarissables soient-elles ; doivent être replacées dans cette histoire et pas une autre. En dernière analyse, il s’agit de l’enseignement principal d’un des résumés les plus puissants et les plus denses de la vision macro-théologique de Paul (Romains 8.28-30). Dieu a pour projet que les êtres humains finissent par être transformés à l’image du Fils ressuscité et glorifié, et qu’ainsi ils atteignent le telos de Genèse 1.26-28 : de véritables humains en Christ qui régentent par l’Esprit le monde de Dieu pour le compte de Dieu.

On pourrait en dire bien plus. Mais certainement pas moins.


Traduction : Matt Moury

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