L’Évangile en 4-points et ses critiques


Ces dernières années ont vu l’émergence de sérieuses critiques formulées à l’égard de la définition traditionnelle de l’Évangile dans les milieux évangéliques. L’articulation en question est tout aussi courante dans la francophonie et n’est aucunement une spécificité anglo-américaine. Cette conversation n’ayant pas (ou peu) été relayée sur l’internet francophone, je vais tenter d’en résumer brièvement les principaux axes.

Parmi les biblistes engagés dans cette conversation, on trouve Scot Mcknight, N.T. Wright, Matthew Bates et dans un passé un peu plus lointain, Dallas Willard.

Ces auteurs formulent chacun leurs objections sous un angle légèrement différent mais tous partagent les observations suivantes.

Premièrement, un constat.
L’Évangile dans le monde évangélique équivaut au Plan de salut en 4-points qui suit :

A. Dieu est ton créateur et il t’aime
B. Tu es pécheur
C. Jésus est mort pour toi
D. Crois en lui, repens-toi et soit sauvé

Scot Mcknight nomme ce plan en 4-points « Évangile Sotérien », du terme grec soteria (salut). De son côté, Dallas Willard définit cette caractérisation comme « Évangile de la gestion du péché ». Cette version de l’Évangile est évidemment réductrice et simpliste, mais le problème est loin de ne se situer que dans une simplification excessive ou un manque de précision manifeste.

Voici les principales critiques :

* Le NT n’articule pas l’Évangile comme la solution à un besoin de salut individuel. L’objet est plutôt Jésus-Christ lui-même et l’ensemble de son œuvre, y compris la croix et la résurrection. Cet individualisme n’est pas seulement une perversion malencontreuse mais émane de la structure même de cet Évangile sotérien.

* L’Évangile selon le NT n’est pas non plus une méthode de persuasion visant à convaincre l’individu. Les critiques font ici référence à la forme rhétorique avec laquelle certaines données bibliques sont empaquetés dans l’unique but de provoquer le maximum de « décisions » en un laps de temps le plus court possible. Dans le NT, la bonne nouvelle suit plutôt la forme d’un Récit à propos de Jésus, son exaltation et l’accomplissement de l’AT en lui, à travers lequel le pécheur trouve le salut.

* Le NT ne présente pas l’Évangile comme un « Plan de Salut » composé de 4 propositions abstraites, une transaction mécanique indépendante du cadre de l’histoire rédemptrice. La version sotérienne de l’Évangile est complètement déconnectée de la trame narrative culminant en Jésus le Roi/Messie et peut être communiquée dans le vide, tel un syllogisme théorique, sans aucune référence nécessaire au contexte historico-biblique du Récit messianique.

* Cet Évangile de la gestion du péché n’est tout simplement pas celui que nous retrouvons dans les passages relatifs à la bonne nouvelle dans les Actes des Apôtres, 1 Corinthiens, et plus important encore, dans les quatre Évangiles. La question suivante est donc posée : si les catégories de cet Évangile sotérien sont absentes des Évangiles eux-mêmes, n’y a-t-il pas un souci évident qui devrait nous forcer à réexaminer nos préconceptions ?

Quel est donc l’authentique Évangile du NT selon ces biblistes ?

Lorsque l’on inspecte le NT en mettant de côté ces préoccupations « sotériennes », on s’aperçoit que l’Évangile est en réalité défini comme étant la proclamation de Jésus en tant que Seigneur, articulée autour du « Récit » de Christ — de son avènement jusqu’à son couronnement à la droite de Dieu, en passant par la croix et la résurrection. C’est l’annonce que YHWH règne sur Israël et le monde à travers son Messie. Le salut reçu par les membres de la Nouvelle Alliance se place dans le cadre de ce grand récit à propos de Jésus, celui-ci ne forme pas le cœur ou le sommet de l’Évangile. Ainsi, la bonne nouvelle du NT a plutôt pour objet la Seigneurerie de Christ en tant qu’accomplissement de l’Histoire d’Israël, avec les bénéfices (par ex. le salut individuel) et les avertissements qui en découlent (la nécessité de vivre une vie de disciple et l’injonction à prêter allégeance au Roi).

Tout ceci contraste donc nettement avec l’idée que se font la plupart des évangéliques de l’Évangile.

Bien que les 4 déclarations de l’Évangile sotérien soient parfaitement bibliques, elles ne constituent pas la bonne nouvelle telle qu’elle nous est communiquée dans le NT. Il ne s’agit pas de rejeter ces enseignements ou de les remettre en question, mais plutôt de les replacer dans leur contexte global et de cesser d’en faire l’Évangile.

Dans les courants se considérant comme théologiquement solides, la réaction naturelle est de ne pas se sentir incriminés par la critique décrite ci-dessus. Seuls les évangéliques à la théologie « light » sont jugés comme étant coupables de ce réductionnisme sotérien. Ceux qui se voient comme les garants de l’orthodoxie pensent véhiculer un Évangile à la fois équilibré et fermement placé dans la grande histoire de la rédemption.

C’est toutefois manquer complètement la nature et l’objet de la critique.

Si l’on examine point par point les formulations de l’Évangile dans ces milieux, on constate en fait qu’elles correspondent en définitive à l’évangile sotérien en 4-points. La présence de clauses fournissant un cadre biblique nécessaire à ces « 4-points » fait davantage office de mise en contexte et d’arrière-plan plutôt que la substance de l’Évangile lui-même. En réalité, pour beaucoup de théologiens de ce camp, l’Évangile est quasiment synonyme de justification par la foi seule et de substitution pénale. Bates, Wright et Mcknight prennent tour à tour les exemples de quelques grands noms représentatifs et montrent sans difficulté que ces théologiens formulent effectivement un Évangile de la gestion du péché sous un vernis qui peine à dissimuler ce fait. L’ouvrage « Qu’est-ce que l’Évangile » de Greg Gilbert est pris comme exemple archétypal par Bates et Mcknight.

L’autre réponse sera de prendre en compte la critique sans réaliser que celle-ci implique, non pas une légère mise à jour, mais une refonte totale de la façon dont on parle de l’Évangile. On va par exemple y ajouter une ou deux clauses élargissant un peu plus le cadre, ou bien en reformuler l’un des points avec un vocabulaire théologique certes moins réducteur, mais cachant en dernière instance la même réalité.

Il faudrait évidemment développer les affirmations de cet article, mais voilà brièvement la teneur de la critique.


Article mis à jour le 22/09

5 Commentaires

  1. L’Evangile, c’est la personne de Jésus-Christ, c’est clair, et les critiques ont raison sur ce point, les présentations sont souvent trop réductrices et ça a des conséquences néfastes notamment dans la compréhension de l’articulation individu / peuple de Dieu et peut conduire à une forme d’individualisme étrangère à la conception biblique.
    Mais de là à considérer qu’il faut tout changer dans toutes les présentations évangéliques de l’Evangile, je me demande parfois quelle est la part chez les chercheurs universitaires entre la recherche de vérité et l’obligation de produire de la nouveauté pour justifier leur poste…
    Il suffit de lire Jean 21.30-31 pour voir que la notion de « persuasion » était là dès le départ, et la notion de pardon des péchés aussi (cf la fin du tout premier discours public de Pierre, Actes 2.38-40).

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    1. Bonjour Lep, permets-moi de préciser la critique de Mcknight à propos de l’Evangile en tant que « Méthode de persuasion », j’avoue que ce n’était pas clair du tout dans mon article (difficile à communiquer en une phrase), j’ai modifié l’article pour rendre ce point plus parlant.

      Ce qu’il critique, c’est la forme rhétorique avec laquelle nous avons empaqueté certaines données bibliques très précises dans le seul but de provoquer le maximum de « décisions » en un laps de temps le plus court possible.

      Ensuite, il note que cette Méthode de persuasion et cette culture de la « décision » ont fini par complètement éclipser le contexte d’ensemble du Récit de Jésus et de l’histoire d’Israël, et donc l’Évangile lui-même.

      Chacun son avis, mais personnellement cette critique me parait très pertinente.

      Voir par exemple pages 41 à 44 de « The King Jesus Gospel » pour un développement plus détaillé.

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  2. Je suis heureux de voir que d’autres francophones ont les mêmes lectures et influences que moi!

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  3. Christopher SINCLAIR · · Réponse

    Bonjour Jonathan. Je découvre votre blog sur les conseils d’un ami. En tant qu’évangélique classique et sôtérien, je suis prêt à reconnaître que le rééquilibrage que vous (et les auteurs que vous présentez) proposez dans l’article ci-dessus est en partie pertinent et necessaire.

    Cependant, comme p.ex. chez les auteurs de la Nouvelle Perspective sur Paul, je retrouve chez vous un double langage et une contradiction qui consiste à dire (1) « Rassurez-vous, chers évangéliques classiques, nous ne proposons q’un petit rééquilibrage qui ne remet pas en cause votre compréhension des doctrines bibliques », mais aussi (2) « Ceux qui ne sont prêts à accepter qu’un petit rééquilibrage n’y ont rien compris, car en fait notre approche vise à tout changer. »

    Il me semble que votre paragraphe « Bien que les 4 déclarations… cesser d’en faire l’Evangile » correspond tout à fait à (1), et vos deux paragraphes « Si l’on examine… la même réalité » correspondent tout à fait à (2). Et tant que les gens de votre bord continueront à consciemment ou inconsciemment user de ce double langage, que j’estime malhonnête et manipulateur, il ne faudra pas vous étonner que les évangéliques classiques, même ouverts comme moi, vous accueillent avec méfiance.

    En conclusion, les évangéliques classiques effectueront peut-être les rééquilibrages que vous proposez, mais ils préféreront le faire sans vous, car votre approche sournoise ne donne pas confiance sur vos intentions réelles.

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    1. Bonjour Christopher,

      Pas très charitable de votre part de me prêter ces intentions ! (cf « approche sournoise »)

      Je comprends bien que pour un évangélique classique il est très douloureux de remettre en question cet « Évangile de la gestion du péché » donc les critiques comme la vôtre ne sont pas surprenantes. C’est de bonne guerre.

      Je ne cherche à convaincre personne mais simplement à exposer les arguments des théologiens en question; à chacun de se faire sa propre idée !

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