La Loi dans l’Épître aux Galates (Partie 2)


Dans un article précédent, mon collègue Matt Moury nous a livré la première partie de son analyse du rôle de la loi dans l’Épître aux Galates.

Suite et fin…


III. La Loi augmente le péché 

En Galates 3.19, Paul s’interroge : « Mais alors, pourquoi la Loi ? ». Il s’empresse de répondre que la Loi a été « ajoutée pour mettre en évidence la désobéissance des hommes à l’ordre divin » (Galates 3.19) et pour enfermer l’humanité dans la culpabilité (Galates 3.22). Comment comprendre ces versets ? De nombreuses interprétations circulent. F.F. Bruce estime que le verset 19 enseigne que « le but de la Loi était d’augmenter la somme totale des transgressions[21] ». En d’autres termes, « la Loi fut donnée pour augmenter et révéler le péché (…) Même si les juifs jouissaient du privilège de connaitre la Loi de Dieu, ce privilège n’eut aucun effet salvateur puisque Israël transgressa la Loi. La Loi n’a pas obtenu le salut d’Israël mais révélé sa transgression et son cœur dur et non repentant[22]».

Ainsi, la Loi révèle non seulement le standard de Dieu mais aussi le péché de l’homme. La fonction de la Loi était donc de rendre manifeste la désobéissance des hommes. L’histoire d’Israël prouve bien que la Loi, bien loin de museler le péché, n’a fait que l’accroitre. Force est de constater que « le don de la Loi n’a pas accouché d’une société centrée sur Dieu et obéissante à la loi mais a plutôt entrainé l’exil[23] ». Dans son commentaire, John Stott résume le rôle de la Loi sous l’ancienne alliance en une formule aussi lapidaire qu’exacte : « Le rôle redoutable de la Loi consiste non pas à justifier mais à condamner[24]».  Dans un effet de contraste saisissant, Paul laisse entendre qu’être sous la Loi revient à être sous l’emprise du péché (Galates 3.22-23). Seul Christ, né sous la Loi (Galates 4.4) peut libérer de l’esclavage de la Loi et du péché (4.5). 

En Galates 3.23-25, l’apôtre compare la Loi à un gardien :« Avant que soit instauré le régime de la foi, nous étions emprisonnés par la Loi et sous sa surveillance, dans l’attente du régime de la foi qui devait être révélée. Ainsi, la loi a été comme un gardien chargé de nous conduire à Christ pour que nous soyons déclarés justes devant Dieu par la foi. Mais depuis que le régime de la foi a été instauré, nous ne sommes plus soumis à ce gardien ». Qui était ce gardien ? Dans la Rome antique, le gardien, ou pédagogue (paidagogos) était un « esclave domestique responsable de la supervision des enfants dans le foyer, de leur enfance à la fin de l’adolescence[25] ». Toutefois, le pédagogue n’avait rien d’une gentille nourrice, il brimait les enfants d’une main de fer. R. Alan Cole compare les pédagogues aux gouvernantes d’antan : « Ceux qui peuvent se souvenir des ‘gouvernantes’ austères de la vielle-école se font une bonne idée de la position et des devoirs du tuteur plus âgé[26] ». 

Selon Paul, la Loi agissait donc en sévère pédagogue qui devait amener le pécheur vers la grâce comme un enfant vers l’âge adulte. La Loi comme pédagogue est utile puisqu’elle mène à la grâce, comme le souligne Calvin : « Toute la Loi n’était autre chose qu’un exercice consistant en beaucoup et en diverses façons de faire, par lequel les observateurs de celle-ci étaient comme par la main conduits à Christ[27] ». Son rôle s’arrêtait une fois l’âge adulte comme le souligne Jason C. Meyer dans son livre The End of the Law : « Sous l’âge de la Loi, on reste à l’âge de l’immaturité et sous un statut d’illégitimité eut égard à l’héritage. Si un individu veut prendre part à son héritage de manière légale, il ou elle doit passer du statut de mineur à celui d’héritier. Toutefois, seule l’adoption est le seul moyen qu’un individu puisse utiliser pour devenir héritier[28]». À l’âge adulte, le rôle du pédagogue s’arrête, la Loi fait place à la foi en vue du salut. 

IV. La Loi est accomplie par l’amour

Après avoir expliqué de diverses manières que le chrétien n’est plus sous le régime de la Loi, et avoir exhorté les Galates à faire bon usage de leur liberté, Paul fait cette déclaration surprenante : « Car la Loi se trouve accomplie tout entière par l’obéissance à cette seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates 5.14). Que faut-il entendre par là ? Comment les chrétiens peuvent-ils accomplir la Loi (Galates 5.14) alors qu’ils ne sont précisément plus le régime de la Loi (Galates 5.18) ?

Contrairement aux apparences, l’apôtre ne se contredit pas. Pour bien comprendre ce verset en contexte, il faut mesurer la différence entre garder et accomplir la Loi chez Paul. Thomas Schreiner décrypte : « Le verset 3 se concentre sur « garder » (ποῆα) la Loi, tandis que 5.14 fait référence à « accomplir » (ππήωα) la Loi. Garder la Loi est requis pour la justification et est inatteignable, alors qu’accomplir la Loi est la conséquence de la justification et le résultat de l’œuvre de l’Esprit[29] ». Par conséquent, il faut distinguer deux classes d’individus : D’un côté, ceux qui gardent (ποω) la Loi sous le régime de Moïse. De l’autre ceux qui accomplissement (πηόω) la Loi par l’amour du prochain. Les premiers sont destinés à l’échec tandis que les seconds réussissent … « De façon ironique et paradoxale, ceux qui vivent sous la Loi produisent le fruit des passions pécheresses, des transgressions de la Loi et de la mort ; tandis que ceux qui sont morts à la Loi produisent du fruit qui accomplit la Loi[30] ».

Pour Paul, seuls les chrétiens peuvent accomplir la Loi car ils ont été délivrés du monde présent dominé par le mal (Galates 1.4) et ont reçu l’Esprit saint (Galates 6.1). L’amour du prochain transcende les règles de la Loi mosaïque par la puissance de l’Esprit (Galates 5.18). Le fruit de l’Esprit accomplit précisément ce que la Loi est incapable de faire (Galates 5.23). Comme F.F. Bruce remarque justement en commentant Galates 5.23, « Paul ne veut pas simplement dire que les neuf vertus du fruit de l’Esprit ne sont pas interdites par la Loi ; il veut dire que quand ces qualités sont visibles elles rentrent dans une sphère où la Loi est absente. La Loi peut prescrire certains comportements et en interdire d’autres, mais l’amour, la joie, la paix et le reste ne peuvent être mis en place par la Loi[31] ». 

Beaucoup de commentateurs perçoivent un lien étroit entre la fameuse Loi du Christ (Galates 6.2) à l’injonction de l’amour du prochain (Galates 5.14) : « Aidez-vous les uns les autres à porter vos fardeaux. De cette manière, vous accomplirez la loi de Christ ». Selon Schreiner, « la ‘Loi du Christ’ est équivalente à la Loi de l’amour (5.13-14), de sorte que lorsque les croyants portent les fardeaux des autres, ils se comportent comme Christ et accomplissement la Loi. Dans ce sens, la vie et la mort de Christ sont devenues le paradigme, l’exemple, et l’explication de l’amour[32] ». En d’autres termes, le chrétien n’est plus soumis à une Loi gravée sur des tables de marbre, mais se doit, par l’Esprit, d’imiter son Sauveur en accomplissant la Loi gravée sur son cœur. 

Pour résumer, « la Loi de Moïse a trouvé son accomplissement et son apogée en Christ[33] ». Pour le chrétien la norme à suivre n’est plus la Loi de Moïse mais la Loi du Christ. À savoir, « la Loi de l’amour, l’exemple de notre Seigneur Jésus-Christ, l’enseignement de Jésus, l’enseignement du Nouveau Testament, et enfin tout le canon interprété à la lumière de l’événement Christ[34] ». 

 Conclusion 

La Loi de Moïse joue un rôle crucial dans l’épître aux Galates. Pour contrer les judaïsants, Paul explique le rôle de la Loi à la lumière de l’histoire de la rédemption qui a trouvé son apogée en Jésus-Christ. Quel rôle joue la Loi dans l’épître aux Galates ? Premièrement, la Loi est incapable de sauver le pécheur, contrairement à la foi. Deuxièmement, la loi était une étape temporaire dans le plan de Dieu. En d’autres termes, l’alliance mosaïque constituait une étape aussi nécessaire que temporaire, qui devait mener à l’accomplissement de l’alliance abrahamique et à l’établissement de la nouvelle alliance en Jésus-Christ. Troisièmement, la Loi a augmenté le péché et enfermé les hommes dans la désobéissance pour les amener à la grâce. Enfin, quatrièmement, la Loi est accomplie dans l’amour. Le chrétien a été racheté de la malédiction de la Loi et vit désormais sous la grâce. Cette liberté, loin d’être une licence pour pécher, doit se vivre dans une dépendance à l’Esprit qui permet d’accomplir la Loi du Christ.

Ainsi, pour Paul, le chrétien est invité à aimer ses frères et sœurs de manière sacrificielle, sans se préoccuper de son statut de juif ou de païen. « Car pour ceux qui sont unis à Jésus-Christ, ce qui importe, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis, c’est d’avoir la foi, une foi qui agit par amour » (Galates 5.6). Pour Paul, « Peu importe d’être circoncis ou non. Ce qui compte, c’est la nouvelle création » (Galates 6.15). 

Thomas Schreiner résume brillamment :« Maintenant que le Christ est venu, la nouvelle création est inaugurée (Galates 6.15) et le monde actuel sous la domination du mal (Galates 1.4) prend fin. L’âge du pédagogue (paidagogos), où la loi jouait le rôle de baby-sitter, est révolu (Galates 3.24-25). L’âge de la Loi avoisine le règne des éléments du monde (Galates 3.24-25), mais Christ a maintenant libéré les êtres humains de la Loi et des éléments (Galates 4.4-5). Les croyants sont désormais les enfants de Dieu (Galates 3.26 ; 4.6-7) et ne vivent plus sous l’ancien âge de l’histoire de la rédemption[35]». 

Plus de 500 ans après les débuts de la Réforme et de la redécouverte de la justification par la foi seule, combien il est primordial d’enseigner inlassablement l’épître aux Galates dans les assemblées évangéliques. Beaucoup de confusions demeurent non seulement sur le rôle de la Loi pour le croyant, mais encore sur l’histoire de la rédemption, la nature de la grâce, l’Esprit et l’éthique chrétienne.  Il est donc nécessaire et urgent de redécouvrir les vérités essentielles distillées dans cette épître. Que les chrétiens du siècle présent puissent confesser tout à nouveau avec le grand Martin Luther leur liberté et leur salut en Jésus-Christ :

« C’est vrai, j’ai péché.  – Dieu te punira donc et te condamnera. – Je n’ai pas affaire avec cette Loi. – Pourquoi cela ? Parce que j’ai une autre Loi, qui la contraint au silence : la liberté. – Quelle liberté ? – Celle, de Christ, car, par Christ, j’ai été libéré de la Loi.  La Loi, donc, qui est et demeure une Loi pour les impies, est liberté pour moi et elle lie la Loi qui me condamne. Et, ainsi, la Loi qui me liait et me tenait captif est maintenant liée et tenue captive par la grâce, ou la liberté, qui est maintenant ma Loi[36] ». 


[21] F.F. Bruce, The Epistle to the Galatians, The New International Greek Testament Commentary, Grand Rapids : William B. Eerdmans Publishing Company,1982, p.175.

[22] Thomas Schreiner, 40 questions about Christians and Biblical Law, Grand Rapids : Kregel Academic, 2010, p.42. 

[23] Blake White, Galatians : A Theological Interpretation, Frederick : New Covenant Media, 2010, p.77-78. 

[24] John Stott, Galates, Appelé à la liberté, Commentaire de l’épître aux Galates, Saint-Liéger : Emmaüs, 1996, p.71. 

[25] Blake White, Galatians : A Theological Interpretation, Frederick : New Covenant Media, 2010, p.82-83. 

[26] R. Alan Cole, Galatians, Tyndale New Testament Commentaries, Inter-Varsity Press : Nottingham, 2008, p.152-153.

[27] Jean Calvin, Commentaires de Jean Calvin sur le Nouveau Testament, Tome sixième, Épîtres aux Galates, Ephésiens, Philippiens et Colossiens, Aix-en-Provence : Kerygma, 1978, p.78. 

[28] Jacon C. Meyer, The End of the Law, Nashville : B&H Academic, 2009, p.173. 

[29] Thomas Schreiner, Galatians, Exegetical Commentary on the New Testament, Grand Rapids : Zondervan, 2010, p.335.

[30] Jason C.Meyer, The End of the Law, Nashville : B&H Academic, 2009, p.183. 

[31] F.F. Bruce, The Epistle to the Galatians, The New International Greek Testament Commentary, Grand Rapids : William B. Eerdmans Publishing Company,1982, p.255. 

[32] Thomas Schreiner, Galatians, Exegetical Commentary on the New Testament, Grand Rapids : Zondervan, 2010, p.360.

[33] Charles Leiter, The Law of Christ, Hannibal : Granted Ministries Press, 2012, Kindle, Loc 964. 

[34] Blake White, The Law of Christ : A Theological proposal, Frederick : New Covenant Media, 2010, p.174.

[35] Thomas Schreiner, The King in his beauty, A Biblical Theology of the Old and the New Testament, Ada : Baker Academic, 2013, p.569.  

[36] Martin Luther, Œuvres tome XV, Commentaire de l’épître aux Galates, chapitres 1-3, Genève : Labor et Fides, 1989, p.276.

un commentaire

  1. […] La suite dans un prochain article… […]

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